Des psychologues africains pour favoriser l’intégration
Par Sarah Elkaïm / DATAS
En 1993, lorsque Ferdinand Ezembé fonde Afrique Conseil, ce docteur en psychologie d’origine camerounaise, formé à l’Université de Paris X (Nanterre) et aux Etats-Unis, veut combler une lacune. Celle de la méconnaissance, chez les travailleurs sociaux, des familles immigrées, et particulièrement originaires du continent noir. Inspiré du travail des associations nord-américaines, il s’installe alors dans un petit studio de la capitale et se fait médiateur auprès des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés.
Paris/
En 1993, lorsque Ferdinand Ezembé fonde Afrique Conseil, ce docteur en psychologie d’origine camerounaise, formé à l’Université de Paris X (Nanterre) et aux Etats-Unis, veut combler une lacune. Celle de la méconnaissance, chez les travailleurs sociaux, des familles immigrées, et particulièrement originaires du continent noir. Inspiré du travail des associations nord-américaines, il s’installe alors dans un petit studio de la capitale et se fait médiateur auprès des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés.
Il y a dix ans, la France vivait avec l’idée que tous les enfants du monde se ressemblaient, qu’il n’y avait pas de psychologie africaine. « Faux ! », corrige tout de suite M.Ezembé. « La semaine dernière encore, j’ai reçu une maman qui refusait de consulter un psychologue blanc. C’est une mère divorcée, dont l’enfant est très calme à l’école. Comme il n’est pas extraverti, on a cru qu’il était victime de maltraitance, alors que c’est juste la façon dont sa mère l’a éduqué ! On a plaqué des interprétations occidentales sur le comportement d’un petit garçon élevé dans des traditions africaines. »
Très calme et peu disert, le docteur Ferdinand Ezembé se souvient qu’il était lui-même qualifié de « bizarre » lorsqu’il était étudiant à Paris. C’est petit à petit, lors de formations sur des thèmes spécifiques (la place des enfants dans les familles africaines, la maladie mentale chez les Africains, femmes africaines immigrées, vie de couple et insertion professionnelle…), que tous les acteurs de l’aide à l’intégration sont parvenus à saisir les subtilités des cultures africaines.
Eviter les erreurs
Méconnaître l’autre, dramatiser une situation qui ne l’est pas nécessairement, ou inversement la minimiser, peut conduire à des erreurs de prises en charge. Chez Afrique Conseil, les groupes de parole et les sessions de formation pour travailleurs sociaux sont là pour leur apprendre à mieux appréhender une autre culture, et les comportements qui en découlent. D’emblée, Ferdinand Ezembé prévient : il est psychiatre, et non pas ethnopsychiatre. « Tobie Nathan (le père de l’ethnopsychiatrie, ndlr) est arrivé à un moment où il y avait une envie d’exotisme, et il a eu l’intelligence d’utiliser ce terme, affirme-t-il. ’Psy’ tout court, ça n’intéresse personne ! »
Ce matin-là, dans les petits locaux en fond de cour de l’association, tapissés de tableaux colorés, de cartes de l’Afrique et de posters de films africains, une douzaine de personnes (Infirmière Puéricultrice, sage-femme, éducateurs spécialisés…) planchent sur le thème : « Maternité précoce et mariage forcés chez les jeunes filles africaines. » Entourés par la psychologue clinicienne d’Afrique Conseil, Catherine Dikoume, les travailleurs sociaux parfois démunis trouvent ici un espace de compréhension et d’échanges. Véronique Horath, éducatrice spécialisée dans un centre d’accueil de jeunes filles à Dieppe, suit les séminaires parisiens depuis octobre 2005. Cela fait quelques années que son centre accueille des jeunes filles africaines.
Une culture inconnue
Parfois, le dialogue n’est pas évident. « La difficulté vient de nous, explique l’éducatrice, parce que leur culture nous est inconnue, on a des fantasmes, on a peur de mal faire. » Parfois même, des erreurs ont été commises, comme avec cette jeune fille qui ne regardait pas ses interlocuteurs en face. « Pour nous, raconte Véronique, ça voulait dire qu’elle avait quelque chose de grave à cacher, alors que pour elle, c’était simplement une marque de respect. On a échafaudé des théories, et la situation ne s’est débloquée qu’au bout d’un an ! » D’où l’intérêt de mieux comprendre une culture dans sa globalité et d’échanger avec ses collègues.
Corinne Soulabaille, Infirmière Puéricultrice de la protection maternelle et infantile (PMI) de la circonscription de Gentilly (Val-de-Marne), renchérit : « L’expérience des autres nous aide. » C’est la deuxième fois qu’elle participe à une formation. « Ça m’aide à mieux répondre sur le terrain, à comprendre le statut des parents, le poids culturel, à ne pas apporter de réponses calquées sur nos modèles occidentaux, poursuit-elle. Par exemple, chez la plupart des familles africaines, tous les adultes, même ceux qui ne sont pas de la famille, sont responsables des enfants. »
Une Afrique multiple
Il faut donc adapter son appréciation des situations, et parfois son discours. C’est ce à quoi ont été confrontés Joëlle Pierre et son mari Jean, un couple de retraités membres du Collectif des sans-papiers de la Nièvre. « En accompagnant certaines personnes, raconte Joëlle en se moquant un peu d’elle-même, on a vite compris qu’on n’avait pas un discours plausible ! En venant à Afrique Conseil, on s’est aperçus qu’en matière de prévention du sida, on parlait beaucoup trop cru. On a surtout appris que la vérité est adaptable, et surtout qu’il n’y a pas une Afrique, fantasmée, mais des Afriques. »
Un apprentissage essentiel pour tous ceux qui sont en contact quotidien avec l’autre. Et une relation privilégiée pour les jeunes patients d’origine africaine qui se sentent en confiance avec des soignants de leur culture. « Je fais comprendre à mes jeunes, conclut Catherine Dikoume, que c’est une richesse d’avoir deux cultures ; il faut apprendre à vivre avec ce qu’on a tout simplement pour apprendre à vivre mieux. » Une urgence pour ne pas stigmatiser les populations immigrées, mais les aider à vivre leur citoyenneté en France. DATAS
Une association soutenue par les pouvoirs publics
Basé dans le 10ème arrondissement de Paris, Afrique Conseil intervient sur tout le territoire français, en conformité avec les orientations des pouvoirs publics. Dans l’association, les consultations psychologiques privées sont à la charge des familles (pour les familles en difficultés, le montant n’est que de 20 euros). Par ailleurs, les sessions de formations pour les travailleurs sociaux sont financées par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), pilotée par les Départements. Sur le plan national, Afrique Conseil compte près d’une vingtaine de partenaires : Conseils généraux (Val-de-Marne, Seine Saint-Denis, Essonne), municipalités, centres sociaux, associations font appel à leurs psychologues pour des stages de formation et de sensibilisation à la relation interculturelle. La direction de l’Action sociale, de l’enfance et de la santé de la Mairie de Paris s’est elle aussi tournée vers Afrique Conseil pour un stage intitulé » Comment travailler avec les familles africaines «.
Preuve que les assistants sociaux, les éducateurs et psychologues sont bien en demande d’une plus grande compréhension des familles immigrées. Les formations financées par les Conseils généraux et municipalités le sont via des fonds publics interministériels. Les différents ministères allouent un budget aux collectivités territoriales : à la charge de ces dernières de distribuer ces financements aux différentes associations oeuvrant pour la compréhension interculturelle et l’intégration. A la fin de l’année 2005, à la suite des émeutes dans les banlieues, le Ministère de la cohésion sociale a ainsi augmenté son budget d’aide aux associations de 100 millions d’euros. Ce même ministère alimente à 90% le FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations), qui dépend de lui. En France, le FASILD est la structure par excellence qui organise des actions de soutien à l’intégration ; il accorde près de 9’000 subventions à plus de 5’000 associations et organismes, qui mettent en oeuvre des actions visant à l’intégration des populations immigrées.
L’Etat et les collectivités locales françaises gardent encore une tradition d’aide aux associations de type Afrique Conseil. Néanmoins, les travailleurs sociaux manquent souvent d’une formation appropriée dans leurs relations avec les familles immigrées. Pourtant, Ferdinand Ezembé se dit très confiant et optimiste quant à la prise en charge, par l’ensemble de la société française, outre les travailleurs sociaux, des familles d’origine africaine. » La France est sur la bonne voie, estime-t-il, quand j’ai débuté on m’a beaucoup découragé mais en fait mon action fonctionne ! La France subit une petite révolution ; depuis l’arrivée des familles, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, on accepte de plus en plus la société multiculturelle. » Un bel optimisme qui se vérifie auprès des travailleurs sociaux, et qu’on aimerait voir déborder toutes les couches de la société française ; selon le rapport annuel de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), remis mardi 21 mars dernier au Premier ministre Dominique de Villepin, un Français sur trois se dit raciste. Encore beaucoup de batailles à livrer pour cette armée de psychologues qui parient sur le «vivre ensemble».
Pas d’équivalent en Suisse romande
Existe-t-il une structure similaire à «Afrique conseil» en Suisse ? Psychologue, docteur en sciences de l’éducation et maître-assistant à l’Université de Genève en approches interculturelles, Yvan Leanza «ne connaît pas d’équivalent strict, à savoir une association qui proposerait des service aux professionnels par rapport à une population précise. Par contre, il existe l’association Appartenances, dont l’antenne fondatrice se situe à Lausanne et qui a essaimé à Genève, Yverdon et ailleurs.
Certaines de ces antennes offrent une formation «interculturelle» pour les professionnels, sans toutefois être ciblées sur une population en particulier». Yvan Leanza précise qu’en Suisse romande, les associations cantonales de psychologues proposent également dans leur catalogue commun de formation continue une introduction à l’ethnopsychiatrie. «Dans les hôpitaux, il y a en général quelques personnes qui sont considérées comme les spécialistes «migrants» ou «interculturels», mais elles n’arrivent évidemment pas à intervenir sur tous les fronts. En bref, l’offre est très faible en comparaison de la nécessité de sensibiliser les professionnels et de répondre à leurs demandes», observe le maître-assistant genevois.
Source: DATAS